Passer d’un langage à l’autre


Cadre général :

D'une manière générale, le jeune entre 12 et 14 ans amorce une évolution cognitive qui le fait passer du concret vers l'abstraction.
Le cours d'éducation par la technologie permet, dans son principe, de donner plus de sens (1) à ce passage obligé vers l'abstraction, qui est trop souvent synonyme d'une véritable rupture entre les réalités quotidiennes et les apprentissages scolaires. Ce cours est au carrefour de tous les apprentissages ou , en principe, devrait l'être.

Comment négocier ce passage vers plus d'abstration ? (2)

En organisant systématiquement un travail de formalisation parallèlement à une série de transformations matérielles portant sur un nombre varié de domaines qui font notre environnement techno-scientifique.

Il y a un véritable enjeu dans l’enseignement général au premier degré. En effet, le cours de technologie devrait être l’occasion d’une découverte de cet environnement technique qui nous cerne de toutes parts, et surtout d’en approcher “ quelques règles de grammaire ” avant d’en acquérir des concepts afin de faire intégrer le sentiment qu’on peut agir sur cet environnement, d’en prendre une distance critique et pratique, et de s’en affranchir à certaines conditions, échappant ainsi à l’ignorance ou la fascination , apanage de notre double culture traditionnelle soit littéraire soit mathématique.

Comment évaluer ce passage ?

En se basant essentiellement sur une compétence cognitive de base qui est aussi une compétence transversale, à savoir : le passage d'un langage dans un autre. C’est probablement la plus importante. (3)

En effet, le cours d'Education par la technologie se déroule sur 4 registres langagiers (a).

Au départ, il y a une situation-problème donnant lieu dans un registre matériel à des transformations ou manipulations successives, dont l'élève a l'initiative et qu'il va devoir expliciter dans 3 registres,
                - celui du croquis,
                - celui du texte
                - celui des mesures
Ces 3 registres constitueront le travail de formalisation.


 

(a)     On peut très bien trouver cette compétence transversale dans un cours de français où à partir d’un sketch joué par quelques élèves à améliorer, il est demandé à chacun d’une part, de figurer graphiquement le mouvement des acteurs, d’autre part, d’écrire un texte sur le déroulement général de la pièce, et enfin, de chiffrer le temps de l’action et, aussi, par exemple, des répétitions de mots ou d’expressions caractéristiques.


Détaillons les points (1) et (2) :


(1) LA SITUATION-PROBLEME , BASE DES INITIATIVES DES ELEVES

   Comment la définir ?

    1. Il importe de distinguer 3 orientations pédagogiques:

(a)

 

Celle de la transmission de savoir ou de la marche à suivre

 

(b)

 

celle de la situation-problème

 

(c)

 

celle du projet

(au sens strict)

= un processus linéaire de résolution

= un processus à solutions variables mais limitées

= un processus à solutions imprévisibles fonction du nombre d'acteurs

Degré d'initiative des élèves :

= proche de zéro = modéré et formalisé = maximal

Organisation temporelle :

= fonction du prof = entre 2 et 8 h = maximum d'heures (jusqu'à une année)

Au plan de la gestion pédagogique :

= facile et reproductible = certain degré de pédagogie différenciée mais travail reproductible = gestion au jour le jour, négotiation non reproductible


Remarquons que le haut degré d'investissement en tous genres qui est nécessaire pour la pédagogie de projet, provoque facilement un retour à la pédagogie la plus économique qui soit, celle de la transmission ou de la marche à suivre...


2. Comme l'expression l'indique, la situation-problème est inséparable d'un contexte matériel prédéfini et préstructuré. Une situation-problème est construite préalablement par l'enseignant pour comporter un nombre variable de possibilités.


3. On peut tenter de définir une situation-problème par ses conditions initiales, ce qui permet d'énoncer ceci :

- il ne faut pas donner une marche à suivre ou une méthode de résolution
- la situation-problème comporte un certain nombre de variables (Ni trop, ni trop peu).
- il est bon de pouvoir offrir un matériel facilement manipulable, réversible (càd permettant un retour aisé à la situation de départ) exigeant le moins possible de prérequis disciplinaires.


4. Le meilleur critère pour définir une bonne situation-problème réside dans l'analyse de ses effets.

Autrement dit, si apparaissent de nombreux tâtonnements ou des solutions différentes, alors on est devant une bonne situation-problème.

 

 

(2) LA FORMALISATION, BASE DE L'EVALUATION en Education par la technologie


Quelques autres bonnes raisons de choisir la formalisation :

        Les élèves y entrent plus facilement que l'on croit surtout :

 

  1. si on leur indique combien, dans la vie sociale, il est tout aussi important de pouvoir défendre son travail par oral ou par écrit, chiffres et croquis à l'appui, que de le faire matériellement.
    De fait, combien d'élèves de 6ème sont-ils capables de défendre correctement leur travail de fin d'étude ? Aussi, c'est dès la 1ère qu'il s'agit de veiller à ne pas créer une rupture entre pratique, manipulations et cours généraux.

  2. S’il y a progressivité dans la méthode

  3. S'il est indiqué à l'élève que rendre compte ou faire la preuve de ses tâtonnements ou de ses recherches sur 2 heures a autant de valeur que de trouver "La Solution".

  4. Si l'usage de matériaux de construction facilement démontables (4) et devant être disponibles pour plusieurs classes impose le démontage à l'issue de 2 heures, et donc, justifie l'élaboration d'un plan de montage, d'une formalisation par l'élève ou son groupe pour le prochain cours.



LE PROBLEME que fait surgir cette méthodologie d'évaluation, centrée sur la formalisation, est en définitive, l'abondance des travaux d'élèves.
Ces productions sont d'autant plus nombreuses que l'enseignant offre à ses élèves des situations-problèmes variées d'une durée moyenne avec des matériaux réversibles .

LA SOLUTION proposée à cette situation-problème pédagogique pour l'enseignant, est le recours à une grille d'évaluation à 2 vitesses ,

 


Remarquons qu'un élève ou son groupe peut très bien obtenir une appréciation positive dans le cadre d'une évaluation rapide, et ne pas satisfaire dans le cadre d'une évaluation approfondie.

Est-ce gênant ?
Non, dans la mesure où cette différence indique tout au plus qu'un travail, des initiatives ont été prises et explicitées, bref, qu'une méthodologie a été adoptée, mais qu'à une lecture attentive, la compréhension de ce qui a été entrepris et explicité, n'est pas bien assurée.
En conséquence, il y aura lieu pour l'enseignant à la fin de la séquence de prendre le temps d'une explication générale pour ne pas laisser les élèves sur l'illusion qu'ils ont compris.
D'une manière générale, il convient que l'explication ou la conclusion d'une séquence ne soit pas "un corrigé écrit ou à écrire" de la situation-problème sinon elle deviendra vite la solution à reproduire de toute urgence au fil du temps, et empêchera l'apparition d'idées ou d'initiatives nouvelles.


GRILLE D'EVALUATION à 2 vitesses ou Comment évaluer ?
Cette grille comporte 4 niveaux.


Les 2 premiers sont évaluables rapidement. Ensemble, ils renseignent sur l'exercice de la compétence transversale (passage d'un langage dans un autre), et sur la capacité de prendre des initiatives, voire d'émettre des hypothèses.
Les 2 niveaux suivants demandent un investissement plus important en temps (pour l'enseignant ) qui n'était pas nécessairement engagé dans un cours traditionnel de technologie.

 

1er niveau : REPERER LA PRESENCE ET LA DISTINCTION DES 3 REGISTRES

                            Croquis    ;     Textes      ;     Mesures


Ici : L'exigence minimale est donc, à partir d'une situation matérielle, l'établissement d'une formalisation où les 3 cases ou registres ne sont pas vides, ce qui revient à une sorte de fiche technique.

Notes:

 

-     Ces cases figurent éventuellement sur des feuilles préalablement structurées.
-     Pour aider à la rédaction d'un texte, on peut fournir en appui une liste de mots de vocabulaire en parallèle à l'illustration des pièces manipulées.
-     La mesure minimale auquel un élève doit s'astreindre, est le calcul d'une échelle, avec l'élaboration d'une légende.


2ème niveau : REPERER LE PASSAGE D'UNE SITUATION INITIALE
                     à au moins UNE SITUATION DE TRANSFORMATION

Situation initiale
                   
Croquis(i)    ;     Textes(i)      ;     Mesures(i)


Situation de transformation (1)
                    Croquis(1)    ;     Texte(1))      ;     Mesure(1)


Ici : l'essentiel est de relever que l'élève (ou son groupe ) a pris l'initiative d'une transformation dont il peut rendre compte. Il y a sortie du cadre initial.

 

3ème niveau : LECTURE INTEGRALE DU COMPTE-RENDU


Ici : il s'agit de vérifier la cohérence, les relations entre les différents registres, et entre les différentes étapes de transformation.
Une attention particulière portera sur la lecture des textes.

Notes :

-     Pour aider les élèves à structurer leurs textes , il s'agit de leur donner le conseil de numéroter leurs différentes idées , ou de les distinguer par des tirets ou des alinéa. Ou encore de proposer la structure déductive suivante : "je fais ceci , alors il se passe cela"
-     En général (sauf au début afin de mieux faire intégrer la démarche méthodologique) , le compte-rendu est un travail collectif. Après plusieurs travaux collectifs, on peut très bien envisager une évaluation individuelle grâce à la mise au net par chaque élève d'un des compte-rendu réalisés en groupe. Avertis de cette possibilité ( une par trimestre), chaque élève est responsabilisé, et ne pourra plus se cacher derrière le groupe.



4ème niveau : COMPREHENSION, AUTO-EVALUATION ET METACOGNITION

Ici : D'une manière générale, il s'agit de voir si, à partir des manipulations et de la formalisation engagées, l'élève est capable d'une réflexion :


- sur les principes sous-jacents à ses manipulations

C'est la compréhension. (a)
- sur son comportement global vis-à-vis de son travail et du groupe.
C'est l'auto-évaluation. (b)
- sur les étapes (erreurs y compris) qu'il a rencontrées en vue d'énoncer une méthode de résolution de problèmes.
C'est la métacognition. (c)



Notes:

 

(a) La forme que peut prendre ce niveau de réflexion, c'est celle d'une interrogation classique où après une question de simple restitution, est posée une question sur le fonctionnement.
(b) Celle-ci pourrait prendre la forme d'un petit texte de 3 lignes sur le thème : "ma participation dans l'activité ?"
(c) C'est asssurément la pratique cognitive la plus délicate à engager. Dans une forme allégée, elle peut consister en une brève réflexion orale ou écrite sur le thème :" La prochaine fois, on ne m'y prendra plus ...
Face à une situation-problème, je ferais ceci, puis cela, etc..."
Dans une forme élaborée, l'enseignant, après avoir engagé plusieurs fois la même situation-problème, relève les constantes (essais fructueux ou infructueux) dans les démarches de ses élèves, les classe et en fait un tableau qui sera soumis à la réflexion des élèves.(6).


PROLONGEMENT DE L'EVALUATION VERS LES AUTRES COURS

Rappel du déroulement d'une séquence de cours :

 


Notes :
(y) Le but poursuivi par une mise en situation , c'est de capter l'imagination des élèves, de les faire "rêver" à propos
d'une série de questions ou de faits dans le domaine qui sera celui de la situation-problème proprement dite.
(z) Sans conteste, l'expérience montre que c'est en matière d'évaluation des textes rédigés lors des formalisations
successives qu'un travail de collaboration avec le professeur de langue maternelle est le plus souhaitable.

 


Références :
1. Citons Jean-Marie Domenach " La technologie n’est pas l’humanisme nouveau, mais l’accès privilégié
à l’homme contemporain... C’est bien pourquoi la technologie est un secteur stratégique pour
l’Education Nationale " in Ce qu’il faut enseigner, Ed. du Seuil, Paris, 1989, p.141.
2. En fait, le type d’évaluation proposée a pour but de favoriser l’abstraction. Piaget a bien indiqué que
" l’abstraction réfléchissante s’accompagne de prise de conscience et d’une formulation - voire d’une
formalisation - des éléments qui ont été abstraits. L’abstraction réfléchie s’observe depuis la simple
représentation verbale d’une action chez l’enfant (" j’appuie sur le bouton et ça sonne ") jusqu’à la
formalisation des opérations de pensée chez le logicien, par exemple " in J.Montangero, D.
Maurice-Naville, Piaget ou l’intelligence en marche, Coll. Psychologie et sciences humaines, Ed.
Mardaga, Liège, 1994, p.86.
3. Consulter les 3 premières compétences cognitives de base qui engagent la maîtrise conceptuelle, in
J.M.De Ketele, Le passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur : les facteurs de
réussite, Humanités chrétiennes, juin-août 1982-83,pp.294-306 Dans notre perspective, il n’y aurait
qu’une seule vraie compétence transversale, celle du passage d’un langage dans un ou des autres. S’il
est vrai que " toute éducation consiste d’une manière ou d’une autre en une accélération de la
succession des stades de développement ", Piaget indique une voie que nous avons voulu adapter dans
cet article pour des enfants plus âgés, à savoir celle des exercices d’observation " utiles en choisissant
les observables à décrire parmi des domaines de causalité les plus quotidiens et les plus élémentaires, et
en demandant des descriptions de types divers : par une reproduction mimée de l’action (ce qui est le
plus facile), par le langage, par des dessins avec l’aide de l’adulte, etc. " in J.Piaget, Où va
l’éducation ?, Coll. Médiations, Ed.Denoel, Paris, 1972, p.26-27.
4. B.Spée,Petit modèle, quelles sont tes vertus ?, in Echec à l’échec n°120, CGE, avril 1997.
5. " On pourrait aussi baser une partie de la certification sur des dossiers d’apprentissage montrant les
étapes par lesquelles le sujet est passé, les obstacles qu’il a surmontés, les progrès effectués " in J.
Beckers, Les compétences terminales et leur évaluation : quelques pistes de réflexion,Cifen, Bulletin
n°8,juin 2000, p.4.
6. B.Spée, La métacognition, sommet de l’abstraction ? in Echec à l’échec n°111, CGE, janvier 96.



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